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Etude en cours : « Etudes doctorales »

Analyse préliminaire « Études doctorales et intégrité académique »

Michelle Bergadaà

1. Introduction

Nous avons réalisé une enquête auprès de responsables d’études doctorales (Écoles doctorales) de France, Portugal et Roumanie au cours du moins de janvier 2020. Le questionnaire ouvert comportait 21 questions couvrant 6 thèmes : Thème 1: Identification des faits, Thème 2 : Les directives institutionnelles, Thème 3 : La communication interne et externe, Thème 4 : Le suivi et le contrôle, Thème 5 : Formation des enseignants et des étudiants, Thème 6 : Traitement des plaintes et médiation.

Ce rapport intermédiaire a été rédigé sur la base d’une analyse flottante des trente premiers questionnaires remplis sur 227 directeurs d’Écoles doctorales sollicités. Par les directeurs d’Écoles doctorales de France, pendant la période du pré-test du questionnaire. S’agissant d’analyses qualitatives, l’examen en profondeur de trente réponses détaillées (13,2 % des répondants) est déjà suffisant pour réaliser un analyse flottante, mais bien sûr pas pour proposer une structuration du champ, une représentation sociale du concept d’intégrité dans les écoles doctorales, ni des profils par zones géographiques.

Le questionnaire sera diffusé à plus grande échelle au cours des mois de mars à juin 2020 et permettra de comparer les pratiques par zones géographiques. Les résultats seront présentés lors de la Conférence de Coimbra qui se tiendra les 30 et 31 octobre 2020.

2. Les répondants et les non-répondants

Une première observation générale est le faible intérêt que suscite notre étude chez la majorité des personnes que nous avons personnellement contactées. Un taux de réponse de 13,2% est faible s’agissant de personnes occupant des postes de direction de programmes.

Ce qui peut, à terme, poser la question de savoir si la fonction à laquelle sont affectés les responsables n’est pas en soi une fonction dévaluée car exercée dans un contexte de rotation rapide qui ne leur permet pas d’être des agents d’action et de changement. Une sorte de façade institutionnelle, comme le suggère un répondant : « les institutions sont, d’une certaine manière, obligées d’assumer sans toutefois lui accorder les moyens nécessaires pour qu’elle puisse contribuer au développement d’une culture institutionnelle basée sur l’intégrité ».

Par contre, quelques-uns au contraire, se sont passionnés pour les questions que nous avons posées, qui leur permettaient de « réfléchir » de manière « inédite ». Bien que nous demandions dans ce questionnaire des réponses succinctes, le pouvoir de réflexion des répondants ouvre d’importantes pistes de discussion.

En approfondissant les raisons sous-jacentes du manque d’intérêt évoqué quand nous leur avons directement posé la question (par Skype ou lors de nos conférences), deux hypothèses se font jour.

  • Le manque de connaissance/compétence des personnes interrogées. Quand bien même elles occupent des postes de direction de programme, l’intégrité ne relève pas de leur responsabilité de formation et de création de connaissance. Elles « dégagent en touche » : « Il existe des cours optionnels ou obligatoires de quelques heures à l’intégrité et que cela leur semble suffisant ».
  • Le manque d’expérience de personnes récemment nommées. Celles-là disent qu’elles ne peuvent pas répondre au questionnaire parce qu’elles ne bénéficient pas d’une vue de recul suffisante. Certaines occupent une fonction de direction car c’est un « passage obligé » dans une carrière académique. Dans cette catégorie, nous trouvons des personnes qui ne pensent « intégrité » qu’en référence à des fraudes lourdes et ne voient pas les petites dérives déontologiques de tous les jours. D’autant que ces dernières sont parfois le fait de collègues proches qu’elles ne souhaitent pas affronter.

Ainsi, une très grande variance de sensibilité des directeurs d’études doctorales ou Écoles doctorales se profile. Pour certains, l’intégrité n’est pas le centre de leur métier. Ils disent « disposer de textes à ce sujet ». Pour d’autres, à l’opposé, il y a débat en comité, réflexion, mise en place de dispositifs et innovation en la matière.

3. L’analyse flottante des réponses

Nous illustrons ici notre analyse avec des verbatims des répondants significatifs des dimensions induites.

  • Concernant les difficultés rencontrées par ces directeurs en prise directe avec les études doctorales, elles sont de trois ordres :

a) La remontée d’information. Par exemple : « La remontée d’agissements fautifs est souvent délicate (absence de preuve flagrante, peur de réactions violentes psychologiquement ou de ne pas être entendu.e) alors même que des procédures existent et sont connues. »
b) La peur. Ainsi : « Manque de soutien de la part des autorités par peur de sanctionner des collègues influents et qui rapportent des financements. »
c) L’incompétence, le manque d’engagement ou le manque de temps pour accompagner les doctorants des encadrants de thèse : « Les directeurs de recherche et plus largement les encadrants ne sont pas toujours les spécialistes de certains des points abordés dans les thèses et peuvent se laisser abuser.»

  • Concernant la nature des infractions commises, nous constatons qu’aucun répondant sur les trente de notre échantillon ne distingue dans sa réponse les fautes relevant respectivement d’un problème de morale, de déontologie, d’éthique ou de responsabilité. Les réponses restent cantonnées, selon les disciplines, au plagiat et/ou à la manipulation de données. Il n’est pas fait mention de déontologie. Par exemple, l’ajout de noms d’auteurs, l’inversion de l’ordre des auteurs, l’utilisation par plusieurs doctorants des données recueillies exclusivement par l’un d’eux, etc.
  • Concernant les dispositifs mis en place au sein des Écoles doctorales, ils sont également toujours interprétés – à une exception près – comme destinés aux étudiants. Il faut attendre la question sur la formation des encadrants pour obtenir des réponses ciblées sur ces derniers. Ceci est d’autant plus étonnant que certains soulignent les problèmes de l’encadrement. Par exemple : « Il peut exister des formes de complaisance de la part de certains collègues qui les amène à ne pas les dénoncer, généralement pour des questions d’image (de soi, du laboratoire…) »
  • Concernant la forme des dispositifs, ils prennent la forme parfois d’une lettre à signer par le doctorant ou d’une charte. Notons que la charte est signée lors des journées d’accueil alors même que le doctorant n’a aucune idée de ce que sera l’univers académique pour la plupart. Or, nous savons tous que les problèmes d’éthique se posent lors de la rédaction de son écrit et/ou de l’analyse des données soit bien des mois ou années après les journées d’accueil. Aucun répondant n’a parlé de débats et de vérification de l’appropriation d’une conduite intègre. C’est laissé au libre choix des doctorants : « une formation de 24h est conseillée, présentée dans le catalogue de formations ».
  • Concernant la sensibilisation à l’intégrité (c.-à-d. des étudiants donc), elle prend la forme la plus générale d’une quinzaine d’heures de cours sur l’éthique formelle, obligatoire ou non. Ces cours sont dispensés par des « spécialistes de l’éthique ». S’agit-il de philosophes ? De spécialistes des disciplines ? Ceci ne fait pas débat. Par contre, à l’exception d’une École doctorale en France, ces cours ne sont pas dispensés comme ceux de l’IRAFPA sur la base de situations concrètes issues de cas réels et de jeux de rôles et de travail de groupe. Il s’agit de cours choisis à la carte sans qu’une réflexion approfondie n’ait été conduite sur les véritables besoins des doctorants.
  • Concernant les dispositifs pour faire remonter les cas de manquement à l’intégrité et le traitement des plaintes : sans surprise ils sont inexistants. Il n’y a pas non plus de formation à la médiation et, face à des situations conflictuelles entre doctorants et directeurs de thèse, il n’y a pas de différenciation entre les problèmes relationnels et les manquements à l’intégrité. L’objectif est de résoudre des problèmes et non de comprendre les enjeux sous-jacents en matière d’intégrité. Or, un doctorant peut parfaitement se méprendre (cf. ci-dessous les modes de formation à l’intégrité) de même que des directeurs abusifs ne sont dénoncés que lorsqu’il est trop tard : lorsque le doctorant a obtenu son titre, a obtenu un poste et se décide à porter plainte.
  • Concernant l’expérience acquise sur la base des cas d’inconduite, nous avons posé la question : « Un rapport annuel de synthèse des cas de manquement à l’intégrité est-il réalisé ? » La réponse unanime est : « Non ». Comment dès lors prendre la mesure et faire prendre la mesure des problèmes rencontrés. Comment capitaliser l’expérience ? Mais la réponse est sans appel, quand il s’agit de préserver la paix : « Une telle mise en commun, même anonymisée… pourrait aussi avoir des effets de suspicion dommageable à la bonne vie du laboratoire. La communication doit donc se faire directement aux personnes concernées, en face à face et, si besoin, à leur environnement proche» l’argument est surprenant, ayant toujours eu comme leitmotiv à l’IRAFPA de pacifier les communautés. La transparence et l’implication de la communauté sont des facteurs essentiels d’autant que les rumeurs vont toujours bon train en cas de manquement à l’intégrité.
  • Concernant enfin l’implication des directeurs de thèse dans la recherche de dispositifs promouvant l’intégrité, le besoin est reconnu. Mais le découragement : « Organisation récente, dysfonctionnant depuis sa création et en sous-effectif administratif absolu. Il serait bon d’exiger que tout encadrant ait reçu une formation à l’EIS avant d’encadrer qui que ce soit? » ou encore : « Mon expérience est celle d’une directrice d’ED au sein d’une structure dysfonctionnelle où l’EIS est un vrai sujet dont on débat peu puisque nous sommes accaparés par d’autres tâches. »

4. Crise et responsabilité

Aucun des répondants de notre échantillon – pourtant très impliqués et répondant longuement à nos questions – ne semble en mesure d’imposer la vision que les comportements de délinquance de la connaissance s’enracinent au cours des études doctorales et qu’ensuite ils ne varient plus[1].

Paradoxalement, tous sont conscients d’une certaine crise de la publication, de l’impact des rétractations d’articles et de la fausse connaissance. Parfois excusés par la règle omniprésente du « publish or perish » et des classements des établissements.

Selon la figure ci-dessous, quand un manquement à l’intégrité se produit et se traduit en crise au sein de leur unité ou organisation, les directeurs interrogés sont, pour leur grande majorité, confinés dans les étapes 1 à 4 des dispositifs fonctionnels. N’ayant pas d’historique des situations, très peu cherchent à analyser les causes (étape 5) et à réévaluer les dispositifs (étape 6).

Aucun des répondants de l’échantillon ne se situe dans la logique de compréhension inductive et n’applique de principe de précaution affaiblissant ainsi la responsabilité académique. Là est sans doute la raison pourquoi il existe de véritables délinquants de la connaissance, personnalités connues dont le manque d’intégrité académique fait ensuite les beaux jours des journalistes.

[1] Bergadaà (2015), Le plagiat académique : comprendre pour agir, L’Harmattan, coll. Questions contemporaines.

Fig. 1 : Gestion de crise. Site IRAFPA.

Rapport provisoire. Genève, 30 mars 2020.